Lettre de Camille Claudel au Docteur Michaux : « C’est affreux d’être abandonnée de cette façon, je ne puis résister au chagrin qui m’accable. »

Camille Claudel, l’une des premières sculptrices, d’un talent reconnu et envié par le maître incontesté de l’époque, Auguste Rodin -son professeur et amant-, artiste pionnière et femme libérée des conventions sociales et familiales de son temps, est décédée le 19 octobre 1943, après 30 ans d’internement psychiatrique. Enfermée de force le 10 mars 1913 à la demande de sa famille, elle ne cessera de demander sa remise en liberté, de dénoncer les motifs et les conditions misérables de son incarcération, et plongera peu à peu dans la folie, nourrie de délires de persécution. En hommage à cette martyre de l’art, à cette immense artiste écrasée par la société et son époque, voici une lettre de supplication adressée au docteur Michaux, véritable cri de souffrance et appel au secours pour fuir la misère sordide qui l’étouffe et finalement, l’emportera.

ClaudelBinoche

15 juin 1918

Monsieur le Docteur,

Vous ne vous souvenez peut-être plus de votre ex-cliente et voisine, Mlle Claudel, qui fut enlevée de chez elle le 3 mars 1913 et transportée dans les asiles d’aliénés d’où elle ne sortira peut-être jamais. Cela fait cinq ans, bientôt six, que je subis cet affreux martyre. Je fus d’abord transportée dans l’asile d’aliénés de Ville-Evrard puis, de là, dans celui de Montdevergues près Montfavet (Vaucluse). Inutile de vous dépeindre quelles furent mes souffrances. J’ai écrit dernièrement à monsieur Adam, avocat, à qui vous aviez bien voulu me recommander, et qui a plaidé autrefois pour moi avant tant de succès ; je le prie de vouloir bien s’occuper de moi. Mais dans cette circonstance, vos bons conseils me seraient nécessaires car vous êtes un homme de grande expérience et, comme docteur en médecine, très au courant de la question. Je vous prie donc de vouloir bien causer de moi avec monsieur Adam et de réfléchir à ce que vous pourriez faire pour moi. Du côté de ma famille il n’y a rien à faire ; sous l’influence de mauvaises personnes, ma mère, mon frère et ma sœur n’écoutent que les calomnies dont on m’a couverte.

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